Puddin disait toujours ; « il suffit d’une seule mauvaise journée » et pendant longtemps j’ai cru en ce dicton avec la même conviction que certains pouvaient avoir en leurs dieux. Après tout, c’est ce qu’il était pour moi, une entité de folie pure que nul homme ne pouvait atteindre. Alors je l’avais cru. Ma mauvaise journée était claire, il s’agissait de cette soirée fatidique où alors que je travaillais à Arkham une violente explosion s’était déclenché et, au lieu de me mettre à l’abris, j’avais choisi de prendre une arme et terrer sur un garde afin de protéger mon patient et l’homme qui depuis des semaines déjà entait mes nuits. Seulement, Puddin avait tort. Ma vie n’a pas commencé avec lui et elle ne s’est certainement pas terminée avec lui.

Ma vie a commencé dans une petite maison blanche miteuse d’un quartier encore plus miteux. Au début, malgré la crasse, tout ça avait presque un air de petite famille américaine parfaite avec papa, maman et trois petites têtes blondes dont la dernière à couette rose. Au début, tout allait bien et on allait tous les dimanches au parc, j’aimais surtout ce moment parce que je pouvais me dépenser. Courir. Hurler. Au début le père était là. Et puis un jour le début était fini. Le père étant parti, il n’y eut plus de sortie au parc. Apparemment il avait trouvé mieux ailleurs, une meilleure famille, une meilleure fille. Puis c’est la mère qui a commencé à disparaitre. Disparaitre devant la télévision, derrière la bouteille.

Alors pour les ramener je suis devenue l’enfant dont chaque parent aurait rêvé. Gymnaste de talent, mignonne, populaire et bonne en classe. Le paquet complet quoi. Malheureusement, ça ne semblait pas assez, ni pour que mon père rentre à la maison ni pour que ma mère exprime un peu de fierté. Pas grave, il y avait d’autres gens pour m’applaudir, pour m’aimer. Les amis puis les garçons. Eux ils étaient toujours plus âgés, toujours protecteur et possessif. Moi j’étais toujours une fille différente pour leur plaire. La belle-fille parfaite, vierge et pratiquante pour l’un, le fantasme d’un été pour l’autres. Je jouais le jeu contre un regard, contre un peu d’affection, contre un « je t’aime » sans valeur. Sauf qu’ils finissaient toujours par partir, me laissant seule et vide et sans rôle à jouer.

Puis il y a eu les études, choisi au début sans conviction mais continuées par véritable passions. En psychiatrie d’abord, puis une spécialisation sur l’étude des meurtries et criminels. Ecouter des gens se plaindre de leur boulot pourri où de leur complexe d’oedipe à longueur de journée, ça me semblait proche de l’enfer sur terre. Non, il me fallait étudier les esprits les plus intéressants. Ainsi mon diplôme à peine en poche je me dirigeais vers Arkham. Oh, j’étais sûrement trop jeune pour le post mais ce n’était pas le genre d’établissement à pouvoir refuser la moindre demande d’embauche.

La suite… Il n’y a pas besoin de la raconter non ? Ça a fait le titre de tous les journaux non ? « Une psychiatre tombe amoureuse du prince du crime et l’aide à s’échapper. ». Mais comment lui résister ? Son sourire, sa manière de me regarder et de me donner l’impression d’être vue, de m’écouter et de me donner l’impression d’être entendue. Avec lui j’étais en vie. A ses côtés, c’était comme si, pour la première fois de ma vie je me sentais libérée des chaines que je m’étais toujours forcée à trainer, des masques que je m’étais forcée à porter. Il me racontait toujours ma chance d’être libre, d’être là à ces côtés dans ce costume noir et rouge qui faisait alors tout mon personnage d’arlequin serviteur.

A ses côtés, j’ai régné sur les rues de Gotham comme une petite reine. Vol, prise d’otage, attaque au gaz hilarant ou plongé de politicien dans des bassins de poissons clown-piranha. J’étais son bras droit, son acolyte dans le crime. On a fait les quatre cents coups ensemble. Rien ne nous arrêtait, pas même Batman. Qu’importe. Même cette fois où il nous a envoyé à Gotham on s’était échappé illico. Enfin, mon poussin lui d’abord avec l’aide des Jokerz et moi quelques mois plus tard. Seule.

Rien ne pouvait nous séparer lui et moi alors, quand il m’a demandé de prouver mon amour et de me jeter dans une cuve d’acide je n’ai pas hésité une seconde. J’ai pris mon plus beau sourire, mon courage à deux mains et fait mon plus beau plongeon. J’ai cru que j’allais mourir ce jour-là tant ma peau brûlait mais mon sourire est resté figé sur mon visage. Qu’importe la douleur m’étais promise d’être toujours à ses côtés. Longtemps j’ai tenue promesse. Malgré les cris, malgré les coups… Malgré Ivy…. Ivy et sa douceur lorsqu’elle pensait mes blessures physiques et me prenait dans ses bras pour calmer mes tremblements de terreurs. Chaque fois je lui faisais la promesse de rester à ses côtés avant de la briser, en même temps que son cœur, et la quitter.

Puis il y a eu Lucy. C’est étrange vous savez. Se sacrifier semble toujours si simple mais sacrifier son enfant ça, c’est impossible. Alors je suis partie. Pour de bon. Chez Ivy, un moment. Puis chez Green Arrow. Pas mon premier choix au départ. Seulement, la vie m’avait mise au milieu d’un braquage de banque dans lequel (pour une fois, certes) je n’avais rien à voir et lui étais là. Il offrit de me protéger. Moi et Lucy. J’avais accepté. Après tout, c’est étrange mais durant chaque combat nous opposant il avait toujours fait preuve d’une trop grande gentillesse envers moi, comme si dans ses yeux je n’avais jamais été qu’une autre victime.

Alors quand Lucy est née, je l’ai laissée chez lui et je suis partie. Dans la pénombre cette nuit je sais qu’il m’a vu mais il n’a rien dit, rien fait. Il savait que je ne pouvais pas l’élever, pas maintenant en tout cas.

Après il y a eu un peu de tout, quelques crimes de bas étages histoire de remplir la caisse sans se faire trop repérer, des travails payant mal, des appartements sentant la moisissure, la suicide squad aussi à un moment. Puddin ne me fit jamais signe. J’avais disparu de l’esprit de tous sauf peut-être de celui d’Ivy, toujours à mes côtés. Parfois je recevais des messages du genre « Park Wayne à partir de 14H » alors j’allais les voir. Oliver et Dinah, leurs propres enfants et Lucy. Je les observais de loin, sans un mot, la joie de savoir ma fille en sécurité bien plus grande que la peine de la savoir si loin de moi.

Puis un jour, c’était l’anniversaire de Lucy, je l’avais marqué sur mon calendrier d’un immense deux en rose, il y a eu une lettre d’invitation à sa fête d’anniversaire. Mais pas d’Oliver. Du Joker. Après plusieurs années de silence de sa part, presque autant de temps à lui avoir caché l’existence de sa fille, il était de retour. Il savait pour Lucy et il allait lui faire du mal, d’une manière ou d’une autre. Alors lorsqu’il me proposa ma vie contre celle de notre fille je dis oui. D’un pas sûr, je m’étais avancé jusqu’à lui, sans regarder en contrebas les immenses cuves d’acides qui allait engloutir ma vie dans quelques minutes. Une dernière fois, je pris Lucy dans mes bras, embrassait son front, lui dit adieu, lui souhaita une vie heureuse. Et soudaine, alors qu’elle était encore dans mes bras, Joker nous poussa. Quelques secondes il n’y eut que le vide, la chute constante et la chaleur de son corps entre mes bras. Puis un grand flash et rien.

Enfin si, le sol dur d’une route. Une ville semblable à la mienne sans vraiment l’être, comme un univers distordu. La chance peut-être, pour Lucy et moi, d’une autre vie ?